Commémoration du 16 janvier 1977 au Bénin : Une victoire triste et sombre.

Un peuple sans histoire est un peuple sans avenir et nul n’a le droit d’effacer une page de l’histoire d’un peuple, dit-on. Mais pourquoi l’histoire s’arrête-t-elle sur le triomphe du Dahomey d’alors sur les mercenaires ? L’histoire du 16 janvier 1977 au Bénin remonte aux âges, et devrait être contée du début jusqu’à la fin, sans qu’aucune page ou ligne ne soit occultée, effacée. Les corolaires de cette agression des mercenaires français contre le Bénin sont énormes. Des morts et des rapatriés, quelques mois plus tard au Gabon, en 1978. Même si le Dahomey a triomphé, les séquelles demeurent. Des soldats qui étaient de garde à la présidence à l’époque sont tués, Toto Paulin et Comlan Sylvain, portés disparus, et plusieurs autres agressés ; le tout, couronné de pertes énormes des béninois vivant au Gabon en 1977.
« L’histoire est la totale des choses qui auraient pu être évitées », disait Konrad Adenauer. Malheureusement, la totale de l’histoire du 16 janvier 1977 au Bénin n’a pu être évitée. Habib Jordi Yacoubou est enseignant d’Histoire au secondaire à Parakou. Il nous raconte ce qui a favorisé cette agression : « au début des années 70, le Bénin (à l’époque Dahomey) était dirigé par un Conseil Présidentiel. Ce Conseil Présidentiel fut renversé le 26 octobre 1972 par un groupe de jeunes militaires dirigé par le commandant Mathieu Kérékou. Ils mettent sur pied le Gouvernement Militaire Révolutionnaire (GMR). Deux (2) ans plus tard, le Bénin opte pour le socialisme scientifique et adopte le marxisme-léninisme. C’était précisément le 30 novembre 1974. Nous étions en pleine guerre froide. Vous comprenez donc que cette option des dirigeants d’alors de se rapprocher des soviétiques n’était pas du tout du goût des occidentaux, surtout de la France qui voyait là l’une de ses colonies lui échapper. » Cela n’était qu’un grain de sable dans le désert. Car, nous raconte le professeur en histoire Habib Jordi YACOUBOU, « le 30 novembre 1975, le Dahomey change de nom et devient République Populaire du Bénin, avec l’instauration du Parti de la Révolution Populaire du Bénin (PRPB) comme parti unique. C’était la preuve qu’ils avaient perdu tout contrôle sur le régime de ce pays qu’il faut à tout prix récupérer. »
C’est ainsi : qu’« au petit matin du 16 janvier 1977, d’un DC-08 débarqua un groupe de mercenaires dirigé par Bob Denard. C’était une agression armée aérienne contre le Bénin. Mathieu KEREKOU lance un appel à la radio nationale. Il demande aux populations de prendre les armes pour soutenir l’armée qui affrontait déjà les mercenaires. C’est ainsi que l’engouement et l’esprit de patriotisme suscités par la révolution, et surtout les quelques avancées économiques enregistrées dans la période, ont entrainé une grande mobilisation qui permettra de débouter les mercenaires et de les bouter hors du pays. »
Bonne nouvelle pour tout le peuple béninois, car il venait de triompher d’une invasion ; mais, très triste et sombre pour certaines couches ou familles du pays. Pour cause, elles venaient de perdre des membres de leur famille ou venaient d’avoir des blessés en leur sein, nous affirme l’agrégé en science politique M. Emmanuel AHLINVI : « les agresseurs ont tué des soldats béninois qui étaient de garde à la présidence, des béninois ont été victimes et certains comme Toto Paulin ont été portés disparus jusqu’à nos jours ».
Cette agression manquée du 16 janvier 1977, a généré, en plus des tueries et blessures enregistrées, plusieurs dégâts, même des mois plus tard. L’un de ces dégâts est le rapatriement en 1978 des béninois vivant au Gabon. À l’époque, El-hadj Omar Bongo dirigeait de main de maître ce pays. Comment une agression au Bénin a pu impacter la vie des bénino-gabonnais ? L’une des victimes à l’époque nous en parle. Aujourd’hui âgé de quatre-vingts (80) ans environ, il nous raconte l’histoire avec beaucoup d’émotion. Il pour nom, Paul M. H. : « Tout est parti du discours du Président Kérékou à la tribune de l’OUA et de la réponse du Président Bongo. Le Général Mathieu Kérékou a profité de la réunion pour reposer le problème du soutien du Président Bongo à la tentative de coup d’État contre son pays le 16 Janvier 1977. Les exactions ont démarré lorsque le Président Omar Bongo est rentré à Libreville. Dans son discours à l’aéroport même, il a annoncé illico presto, l’expulsion de tous les béninois résidant au Gabon. Dieu seul sait combien sont-ils, ces béninois, à avoir perdu la vie dans cette affaire. Dans une telle condition, l’idéal serait de former un collectif des rapatriés du Gabon en 1978. Mais jusqu’aujourd’hui, aucune satisfaction dudit idéal. »
Ce pan de l’histoire, l’agrégé en science politique M. Emmanuel AHLINVI en a connaissance. Il raconte : « après les enquêtes, on se rend compte que ces mercenaires ont quitté le Gabon pour venir nous agresser. C’est ce qui a fait que lors du sommet de l’OUA qui a suivi, auquel le commandant Kérékou a participé, il a interpelé son homologue gabonais, feu El-hadj Omar Bongo, sur son comportement. Cela n’avait certainement pas plu au feu El-hadj Omar Bongo qui était déjà ancré dans les affaires du réseau France-Afrique. Ce fut donc en guise de représailles que ces béninois ont été rapatriés. »
Ces rapatriés auraient vu leurs peines soulagées s’ils avaient obtenu un dédommagement après leur rapatriement. Malheureusement non. À ce jour, plusieurs questions figurent sur les lèvres de notre personne-ressource, victime de ces rapatriements : « Jusqu’à quand serons-nous délaissés ? La mort ne prévient pas. Devons-nous tous mourir avant que justice ne soit faite ? Devons-nous payer aussi ces représailles politiques avec notre vie ? Qu’avons-nous fait ? »
Triste réalité qui n’est portée que sur la langue des victimes.