CRISE ALIMENTAIRE AU SOUDAN: El-Fasher, la ville martyre

Depuis quatorze mois, les familles d’El-Fasher, assiégées par un blocus impitoyable, font face à une crise humanitaire sans précédent. Pénuries alimentaires dramatiques, flambée des prix, épidémie de choléra et destruction des infrastructures de santé : les civils sont à bout. Ils réclament une trêve humanitaire de toute urgence pour permettre l’acheminement des secours vitaux.

Le blocus et l’arme de la faim
Le conflit qui oppose l’armée soudanaise et les Forces de soutien rapide (RSF) fait rage depuis plus de deux ans. Aujourd’hui, El-Fasher est l’un des fronts les plus violents. Après avoir perdu la capitale Khartoum, les paramilitaires ont resserré leur étau autour de la ville, dernier bastion de l’armée au Darfour. Résultat : les marchés sont vides et les prix ont explosé. Ce qui suffisait à nourrir une famille pendant une semaine ne permet plus que de préparer un seul repas.
L’ambaz, dernier recours pour survivre
Dans la cuisine communautaire de Matbakh-al-Khair, des bénévoles transforment l’ambaz, un résidu de cacahuètes normalement destiné aux animaux, en une bouillie pour apaiser la faim des plus démunis. « Il n’y a ni farine ni pain », se désole la responsable. Les ONG sur place dénoncent « l’utilisation calculée de la famine comme arme de guerre » et appellent à l’ouverture immédiate de couloirs humanitaires.
Les enfants, premières victimes
Dans les rares hôpitaux encore en fonction, la malnutrition fauche les plus fragiles. « Nous avons beaucoup d’enfants admis, mais pas un seul sachet d’aliments thérapeutiques », s’alarme le Dr Ibrahim Abdullah Khater de l’hôpital Al Saudi. Cinq enfants, gravement malnutris, sont « en attente de mort », faute de soins. Selon des estimations, plus de 60 personnes sont décédées la semaine dernière, des chiffres impossibles à vérifier.
Entre choléra et destruction
À la faim s’ajoute le choléra. Les réseaux d’eau potable sont détruits, et l’eau polluée, combinée aux inondations, a déclenché une épidémie mortelle. Dans les camps de déplacés, les humanitaires rapportent que chaque personne ne dispose que de trois litres d’eau par jour, forçant les familles à boire une eau contaminée.
Les quelques hôpitaux non encore bombardés plient sous l’afflux des blessés et des malades, manquant de tout : médicaments, personnel et équipements. « La situation est tellement misérable, tellement catastrophique », déplore un médecin.
Les appels à l’aide bloqués par la politique
L’ONU a demandé une trêve pour acheminer des convois humanitaires. L’armée a donné son accord, mais les RSF continuent de bloquer les accès. Les paramilitaires prétendent craindre que l’aide ne profite à leurs adversaires et affirment mettre en place des « routes sécurisées » pour les civils, une version que personne ne peut vérifier.
Des centaines de milliers de personnes ont fui, notamment depuis la chute du camp de Zamzam en avril. Sur la route vers Tawila, les survivants, exténués, racontent avoir subi violences et extorsions. Leurs témoignages font état de familles séparées, de femmes enceintes à bout de forces et de maladies qui achèvent les plus faibles.
L’aide numérique, un pansement sur une hémorragie
Même si un système bancaire numérique permet de transférer de l’argent d’urgence, l’aide est dérisoire face aux besoins. Selon le Conseil norvégien pour les réfugiés, 5 000 dollars ne suffisent plus à nourrir 1 500 personnes pour une seule journée, contre une semaine entière il y a trois mois.
Iréné N’koué (Stg)